Laura El-Tantawy

Vit et travaille en Angleterre
www.lauraeltantawy.com

I’ll Die For You

« La terre est la grande connexion de nos vies, la source et la destination de tout. Elle guérit, répare et permet la résurrection par laquelle la maladie devient la santé, la vieillesse la jeunesse et la mort la vie. Sans lui apporter un véritable soin, nous ne pouvons faire communauté, puisque sans lui apporter un véritable soin, nous ne pouvons pas avoir de vie. »
Wendell Berry, The Unsettling of America: Culture and Agriculture

11 Juin 2010, Sanjay Sarate, un cultivateur de coton âgé de 35 ans, trébuche dans sa maison et s’écroule sur le sol. « J’ai avalé des pesticides… Je vais mourir.”

Ces 20 dernières années, près de 300 000 agriculteurs se sont suicidés en Inde. Nombre d’entre eux avaient emprunté de l’argent auprès du gouvernement via des programmes de prêts bancaires ou auprès de prêteurs privés pour se tourner vers des cultures à plus grand rendement. Ils se retrouvaient alors dans l’incapacité de rembourser leurs dettes à la suite de mauvaises récoltes. A cause de la transition rapide que l’Inde a connue, passant d’une société rurale à une économie urbaine et industrielle avec un marché ouvert, les agriculteurs ont été confronté à d’immenses problèmes économiques et sociaux. La plupart d’entre eux mettant fin à leurs jours en avalant des pesticides – les autres en s’immolant, en se pendant ou en se jetant dans un puit.

Au cours de deux voyages distincts, j’ai rencontré 70 familles touchées par le suicide d’un père, d’un frère, d’un mari ou d’un fils.

Pour cette série, je me suis inspirée de mon grand-père paternel, Hussein. Cultivateur égyptien dans le Delta du Nil, son dévouement à sa terre a finalement fini par le tuer.

J’ai depuis documenté la vie de paysans en Egypte, au Népal, en Angleterre, en Ireland, au Pérou et dans les Territoires palestiniens, toujours avec ce souci de donner à voir la vulnérabilité collective de ceux qui, aujourd’hui, donnent leur vie à la terre.

Si les thèmes de l’identité, l’appartenance, la survie, l’amour et, conséquemment, les commencements et les fins sont sous-jacents, la série I’ll Die For You interroge sur cette vie où le destin de l’homme et de sa terre s’entrelacent pour ne faire qu’un. Je le suggère métaphoriquement en juxtaposant des focus sur la peau des agriculteurs aux détails des paysages et en superposant l’homme et la terre dans un seul cadre.

Alors que Sanjay Sarate était couché dans son lit, il serra Sameer, son fils de six ans, dans ses bras. « C’est la fin de ma vie. » murmura-t-il. Mon travail permet de donner un visage humain à une réalité environnementale et sociale que certains rejettent comme une abstraction. C’est aussi une ode à mon grand-père et aux nombreux agriculteurs que j’ai eu la chance de rencontrer et à tous ceux qui, dans la mort, ont trouvé le repos.