Yu Hirai

Vit et travaille en France
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Maya - Sleeping memory

Ma mère est née à Kyoto en 1926 sous le nom de « Masako », mais nous l’avons toujours appelée « Maya ». Bien qu’elle soit âgée, Maya a une façon de vivre le quotidien qui résonne profondément dans mon coeur. Elle apprécie beaucoup la nature, un peu de nourriture simple, des chansons, une petite promenade, tout ce que ses sens lui permettent de faire. Ma mère a toujours été très active, aussi bien dans son travail que dans la vie quotidienne. Mais depuis quelques années, elle vit détachée de tout ce qui n’est pas essentiel. Et pourtant, beaucoup de souvenirs se sont accumulés dans sa maison. Mais j’ai l’impression que tout ce qu’elle a vécu est en train de se flétrir et d’être oublié. Alors c’est à moi qu’il revient de l’aider à classer ses affaires. Mais classer n’est pas si simple : chaque objet est le témoin d’une histoire passée que ma mère doit faire revivre un peu pour moi. Donc le moindre bout de ses affaires de petit rien, de kimonos ou des photos de son enfance se transforme au fur et à mesure en un possible point de départ pour mon travail consacré au thème du souvenir. La famille est une chose étrange et mystérieuse. Nous avons vécu un certain temps ensemble, mais finalement nous ne nous connaissons pas bien. Dans ma famille, personne ne parlait de soi. Seule ma mère évoquait parfois des fragments de souvenirs de famille. Mais il m’est difficile de savoir si ces informations sont réellement objectives… C’est pourquoi plusieurs photographies de mains sont présentes dans cette série. Traditionnellement, on lit l’avenir dans les lignes de la main. Mais mon intérêt à moi est dans le passé. Les rides des mains de ma mère témoignent de son vécu. Si dans la première photo de main, une fleur symbolise ses souvenirs, la dernière image représente le lâcher-prise, quand le matérialisme s’efface pour ne laisser que l’essentiel, les petits bonheurs invisibles.

Je ne cherche pas à faire un documentaire biographique sur ma famille. Simplement, la maison familiale maternelle est remplie des objets laissés par chaque membre de la famille qui a vécu ici. Ces objets accumulés tout au long de leur existence me servent de prétexte pour créer. Ils sont le point de départ d’une œuvre où la frontière entre réalité et fiction est fluctuante. L’histoire de ma famille est donc le terreau véritable de ma réflexion sur les rapports entre l’Histoire humaine et l’histoire intime.