Laura Chen

Vit et travaille au Royaume-Uni
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Words From Dad

Words From Dad est une série que je poursuis encore et qui explore mon double héritage hollandais – chinois. En utilisant les images d’archive de mes propres albums de famille, je retrace mes diverses racines à travers les histoires de mon grand-père telles que me les a racontées mon père.

Je suis originaire des Pays-Bas. Je suis hollandaise avec un quart chinois. Mes origines chinoises viennent du côté de la famille de mon père. Mon grand-père Tek Suan Chen est né en 1910 à Wenzhou en Chine. C’était un dignitaire et, dans la famille Chen, ils étaient tous juges ou propriétaires terriens. Tout leur fut confisqué, leurs propriétés et leurs biens. Toute la famille fut tuée par les communistes pendant la Révolution Mao. Mon grand-père était l’unique survivant, avec son professeur et cousin Bun Chen. Il n’avait que 23 ans lorsqu’il fuit Wenzhou pour l’Europe, en tant qu’étudiant, en passant par la France et l’Allemagne. En raison des conséquences politiques de la guerre, il termina finalement sa route aux Pays-Bas où il rencontra ma grand-mère et ouvrit le premier restaurant chinois de la ville de La Haye. Cela devient par la suite les deux choses les plus grandes et les plus importantes de sa vie : son restaurant et sa famille. Même si je n’ai malheureusement jamais rencontré mon grand-père – puisqu’il est décédé avant ma naissance – j’ai toujours nourri un fort intérêt pour les histoires que mon père m’a racontées sur lui.

La fabrication et la mise en pratique des techniques de photomontage comme le collage ou la couture me permettent de donner à voir métaphoriquement ce qu’a vécu mon grand-père qui a dû s’adapter à une nouvelle culture (occidentale) et l’héritage multiculturel de mon père. D’une certaine manière, je couds littéralement les différentes cultures et les expériences entre elles et je crée ainsi une fusion de leurs identités chinoises et hollandaises. Avec cette technique de suture de différentes parties d’images diverses ensemble, je représente plus précisément la fragmentation de la mémoire de ma famille.

La couture agit aussi comme une métaphore de l’histoire familiale sans cesse reracontée ; ces histoires qui sont transmises d’une génération à l’autre. Dans mon cas : de mon grand-père à mon père et de mon père à moi. Les histoires s’entretiennent à travers les souvenirs et les émotions – agents qui impactent les détails et les intrigues du témoignage originel. Les histoires de mon grand-père étaient traduites par mon père avec son regard propre et ses propres mots, puis par moi et finalement par vous, qui regardez ces images. Ainsi, la version originale de l’histoire a été perdue en cours de traduction et, dans mon travail, je la rends un peu plus abstraite, en manipulant des photos comme n’importe quel matériau. Dans Words From Dad j’explore cette idée d’interprétation et de continuité, pas seulement à travers ce que je vois dans les images de mes albums de famille, mais aussi à travers les émotions qu’elles suscitent en moi.

Avec la couture, je brode aussi les photos pour explorer l’ancienne croyance chinoise d’un invisible « Fil Rouge du Destin », une histoire universelle d’amour et de destin. Selon la légende, deux personnes reliées par ce fil rouge sont vouées à se rencontrer, quel que soit l’endroit, le temps ou les circonstances. Le lien magique – qui selon la légende est attaché aux chevilles – peut s’étirer ou s’emmêler mais jamais il ne se rompt. Ce mythe ressemble au concept occidental d’âmes sœurs. Pour moi, cette histoire représente parfaitement et, peut-être, explique la relation de mes grands-parents. C’était comme le destin ; la manière dont ces deux parfaits inconnus, de culture si différente, qui ne parlaient pas la même langue, se sont finalement, malgré tout, mis ensemble. J’imagine que l’acte d’amour est un langage en soi qui parle à un niveau beaucoup plus profond. A travers le fil rouge, je crée de nombreux liens entre les photographies et je rends visible l’invisible.

Certaines photos de nos albums de famille présentent des visages inconnus qui me laissent encore sans réponse. Quelques tirages ont aussi de courts messages ou des descriptions avec des noms inscrits au dos dans différentes langues que j’essaie de déchiffrer mais ils n’expliquent ou ne clarifient rien de plus. Je manipule ces images pour donner à voir cette méconnaissance et l’ambiguïté de la relation que je peux avoir avec ces photos et celle qui se dégagent d’elles. Je brouille et j’obscurcis les identités des sujets en les découpant partiellement, ajoutant de l’encre rouge chinoise et couvrant leur visage pour créer une sorte de double exposition.