Diana Markosian

Vit et travaille aux états-Unis
www.dianamarkosian.com

Santa Barbara

La série Santa Barbara explore les concepts d’identité et d’immigration à travers le regard d’une famille, la mienne. Inspirée par le soap opera des années 80, Santa Barbara, ma mère a cherché un mari aux Etats-Unis, depuis la Russie, par correspondance, nous emmenant avec elle, mon frère et moi. A travers des images et des films, cette série tente de re-créer l’expérience émotionnelle qu’est l’arrivée aux Etats-Unis pour les migrants.

La Russie post-soviétique du début des années 90 était un monde qui avait perdu son identité. Pour la première fois en plus de soixante-dix ans, le pays ne faisait plus partie de l’Union soviétique. La Russie était seule, tout comme ses citoyens. L’économie était en miettes et les étagères des épiceries étaient vides. Ma famille ne faisait pas exception. La journée, mon frère et moi collections les bouteilles pour les échanger contre de la nourriture quand mes parents vendaient des vêtements de Barbie dans les rues de Moscou. A la même époque que cette triste situation, Santa Barbara fit son apparition à la télévision. C’était la première, et pour bien longtemps la seule, émission de télévision de l’Ouest à être programmée dans le pays. Cette série – saturée d’argent et de soleil – nous offrait une échappée dans une vie très éloignée de notre réalité. Pour de nombreuses familles, Santa Barbara représentait l’Amérique, c’était l’Ouest. C’était un moyen de fuir notre réalité pour gagner un endroit qui nous était interdit. « Je veux être avec ces gens. » Je me souviens que ma mère disait cela quand elle regardait Eden et Cruz dans la Californie ensoleillée. Mon père, à l’inverse, ne partageait pas ce rêve. La chute de l’Union soviétique avait entraîné avec elle la fin du mariage de mes parents. Pendant la plus grande partie de mon enfance, mon père était absent, laissant ma mère élever mon frère et moi comme une mère célibataire. Un jour pourtant ma mère trouva un moyen d’atteindre le vrai rêve américain.  « Je suis une femme de 35 ans, écrivit-elle dans une petite annonce. Je veux venir en Amérique et rencontrer un homme gentil qui me fait découvrir le pays. » L’annonce attira des douzaines d’Américains qui écrivirent des lettres à ma mère, l’invitant à une nouvelle vie de l’autre côté du monde. L’un d’eux, Eli, 65 ans, était de Santa Barbara. Et c’est là que l’histoire commença. L’idée de toucher du doigt quelque chose qui semblait inatteignable. Nous étions en 1996. Au milieu de la nuit, ma mère nous réveilla mon frère et moi et nous dit que nous partions en voyage. Laissant mon père en Russie, nous prîmes un avion et nous réveillâmes en Amérique, accueillis par un paysage plus lumineux que ce que nous n’avions jamais vu. C’est là qu’un vieil homme nous rencontra à l’aéroport. Ma mère nous le présenta comme un ami qui s’occuperait de nous. Sans que nous le sachions, Eli était aussi étranger à ma mère qu’à nous. La première nuit, ma mère pleura. Elle nous demanda de faire nos bagages. Nous devions rentrer. Mon frère lui dit que notre avenir serait en Amérique et pas en Russie. Le vieil homme étranger, il avait 30 ans de plus que ma mère, devait être notre guide en Amérique. En quelques mois, ma mère épousa Eli. Elle prit son nom de famille et changea son prénom de Svetlana à Lana ; elle devient une Américaine. Alors qu’elle avait un doctorat en économie, elle vendit des cravates dans un magasin de vêtements pour son premier emploi aux Etats-Unis tout en apprenant l’anglais. Pendant ce temps, notre père, tout comme notre vie en Russie, s’effaçait lentement. Nous étions maintenant américains.

Pour ré-imaginer le passé, j’ai collaboré avec un scénariste de la série originale, un directeur de casting et une équipe d’acteurs avec qui j’ai voyagé dans mes souvenirs d’enfance pour reconstituer notre dernier jour en Russie post-soviétique et notre arrivée en Amérique. Le film rassemble les auditions, des séquences hors-champ, des archives de films personnels, des scènes scénarisées et une interview de ma mère, Svetlana. Ce projet n’est pas le soap opera de mon enfance, ni même un documentaire mais plutôt une narration visuelle immersive qui utilise autant la mémoire que le jeu pour raconter notre voyage vers l’Amérique.