Priya Kambli

Vit et travaille au USA
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“Buttons For Eyes”

Ce titre est inspiré par la question faussement ingénue que posait ma mère : « As-tu des yeux ou des boutons à la place des yeux ? » Une question teintée de peur parentale dans laquelle transparaissent de plus vastes inquiétudes. Pas nécessairement la peur d’une incapacité individuelle à distinguer un banal objet posé devant soi mais bien plus la crainte de notre incapacité collective à regarder suffisamment attentivement le monde pour le parcourir. En tant qu’artiste dont le travail puise dans l’intime et est irréfutablement lié à un contexte d’histoires de migration, la question à l’œuvre dans mon travail est comment le personnel (ou le privé) interagit avec le politique (ou le public) ? Ou, tout simplement, alors que nous faisons face à la montée en puissance de la suprématie blanche aux Etats-Unis, comment puis-je documenter mon propre vécu, en reliant mon histoire d’immigration à l’expérience universelle ?

Buttons For Eyes est nourrie de la perte de mes parents et mon vécu de migrant. Dans cette série, je rephotographie les photographies de famille dont j’ai héritées, les documents et les objets que j’ai amenés avec moi en Amérique dans ma maison du Midwest. Ces artefacts – lettres, documents officiels, dessins d’enfant et photos de famille, ont acquis une signification particulière au gré des efforts dont ont fait preuve diverses personnes pour les sauvegarder. Mais certains messages malheureusement s’effacent avec le passage du temps. Dans un sens, leur signification originelle, pour laquelle certain les auront préservés, est peu à peu remplacée par le sens inhérent à ce qui a été sauvé. En tant que conservatrice de ces archives privées, je cherche à renforcer la signification de ces documents en les empilant, en les perforant, en les reproduisant et en les recouvrant. A travers mes œuvres, mon intention est d’offrir de nouvelles perspectives sans complètement omettre les anciennes.

Pour que cette série puisse se développer et s’achever, j’ai besoin de relier mes ancêtres à ma terre d’adoption – d’accueillir leurs fantômes dans les paysages du Midwest. Bien que le Midwest a joué un rôle prédominant dans la production de mon travail – par l’utilisation de sa lumière, en y (re) photographiant dans mon bungalow centenaire et par la saturation de la couleur que chaque saison y offre – la dimension physique du paysage est toutefois restée invisible. Pour le Prix Virginia, j’aimerais creuser ce paysage du Midwest, revendiquer cette terre en nous ancrant, moi et mes ancêtres, dans ce sol.

Bien qu’intensément personnel, Buttons for Eyes dépasse le récit privé en documentant une histoire qui résonne tout particulièrement avec le climat politique actuel ; une histoire de migration et d’hybridation culturelle qui explore la fragmentation de la famille, de l’identité et de la culture.