Elisabeth Blanchet

Vit et travaille aux états-Unis
www.elisabethblanchet.com

Tziganes et gens du voyage en Grande-Bretagne

J’ai toujours été fascinée par les gens qui vivent en communautés, et par la façon dont cela influence leur mode de vie. Quelles sont leurs relations avec les autres membres de cette communauté, et avec le monde extérieur ? Qu’est-ce que représente pour eux la notion de foyer ? Comment y sont-ils attachés ? Ce sont ces questions que j’ai constamment à l’esprit lorsque je photographie des gens appartenant à une communauté.

Quand je suis arrivée en Grande-Bretagne en 2001, j’ai découvert que la plupart des tziganes dans ce pays étaient anglais ou irlandais, et qu’il y avait des campements municipaux de gens du voyage à seulement quelques stations de métro du cœur de Londres. J’ai commencé alors à me rendre sur différents campements, à Peckham, à Bermondsey et dans l’ouest de Londres. Ce fut le début d’un projet à long terme qui m’a amenée à voyager dans toute la Grande-Bretagne pour relater ce qui se passait dans différents campements, dans des foires comme l’Appleby Horse Fair (la foire aux chevaux d’Appleby), ou encore lors de l’expulsion du campement de Basildon, lors de mariages, de communions et d’enterrements…

 

Pour la plupart des tziganes irlandais, l’Irlande est leur « chez eux ». Ils y retournent lorsqu’il y a un mariage, une réunion de famille, des vacances, mais leur caravane est également leur « chez eux ». Bien que la société actuelle les oblige à se sédentariser dans des campements, ils conservent leur caravane impeccable, toujours prête à être remorquée à l’arrière de leur voiture pour reprendre la route.

Pénétrer dans une caravane de tziganes est une chose formidable. C’est comme être transporté dans un autre monde. Des bibelots en porcelaine ornent les étagères, des rideaux en dentelle pendent aux fenêtres, des poupées, des coussins, des toiles cirées décorent l’endroit. Des tapis kitsch recouvrent le sol et il y a plein de photos de famille accrochées aux murs. Il y règne une invariable odeur de propreté. Et peu importe le temps dehors, à l’intérieur de la caravane il fait toujours bon et l’on s’y sent bien.

Je travaille depuis 2002 avec les tziganes et les gens du voyage de Grande-Bretagne. Intriguée par le fait que les tziganes de ce pays soient principalement anglais et irlandais, et qu’ils aient été nomades durant des siècles, je voulais vraiment découvrir qui ils étaient, quel était leur mode de vie, et quelles étaient les relations entre leurs différentes communautés.

Le temps et la patience ont toujours été pour moi des maîtres-mots afin de parvenir à réaliser des photos, intimes et sincères, de mes « modèles », attendant l’instant où ils oublieraient ma présence. Parfois, il m’arrivait de me rendre dans un campement et d’en revenir sans avoir pris la moindre photo, simplement parce que ça n’était pas le bon moment. Les gens que j’avais prévu de photographier n’étaient pas en phase, ou bien préféraient discuter. Parfois il m’arrivait de rentrer avec des clichés magiques, des images qui me procuraient une totale satisfaction.

Je suppose que je fais montre d’une insatiable curiosité. Ce que j’essaie de faire à travers ce projet est de saisir des moments d’intimité, des moments de vie quotidienne, les habitudes, la routine, tout ce que ces gens sont heureux de partager avec moi. La photo me permet de fixer ces instants pour l’éternité.

Cig Harvey

Vit et travaille aux états-Unis
www.cigharvey.com

You an Orchestra You a Bomb

À chaque étape de la vie de tous les jours, j’attends, prête à capter quelque chose qui va me perturber visuellement. Quelque chose qui va me couper le souffle. Parfois, c’est un phénomène naturel. Parfois un geste ou un regard. Parfois c’est l’intensité de la couleur ou de la lumière. Je suis choquée, impressionnée, et cela m’incite à en graver le souvenir. Je réalise la photo avec ce besoin irrépressible d’être au plus près du moment qui m’a laissée pantoise. Comme un moyen de figer le temps.

J’ai toujours appréhendé le monde viscéralement, mais après un accident de voiture très grave en 2015, et l’actualité de l’année passée, une conscience aiguë de la fragilité imprègne mon travail présent. You an Orchestra You a Bomb (Toi, un orchestre, toi, une bombe) traite de ma relation à la vie. Il s’agit d’un travail sur l’avenir, sur l’attention portée au présent et sur la façon dont on en jouit. L’objectif est de faire du quotidien des icônes, et de considérer la vie à la frontière entre magie et désastre. Que la vie puisse basculer en un instant me sidère ; une autre façon d’avoir… le souffle coupé.