Cristina De Middel

Vit et travaille au Brésil
www.lademiddel.com

Voyage au Centre

La route migratoire centre-américaine est l’une des plus dangereuses et c’est pourtant la plus empruntée. Malgré la bravoure que requiert ce voyage, l’image des migrants qui l’empruntent est cependant plus associée au crime qu’au courage et au sacrifice.

Pour décrire cette traversée, je me suis inspirée du roman de Jules Verne, Voyage au centre de la terre. J’ai adapté ses paysages et ses personnages au Mexique d’aujourd’hui le transformant ainsi en un territoire magique et faisant des migrants d’intrépides héros dans des Etats-Unis devenus centre de la Terre.

 Voyage au Centre est un projet photographique ininterrompu qui emprunte au livre de Jules Verne son atmosphère et son symbolisme pour donner à voir la route migratoire d’Amérique centrale à travers le Mexique comme un héroïque voyage plus que comme une fuite.

Bien que classée parmi les plus dangereuses, cette route est plus empruntée que jamais. D’importantes caravanes de migrants la parcourent et s’y trouvent confrontés à des obstacles concrets, sciemment renforcés pour contenir le flux de personnes et calmer la paranoïa des habitants.

Dans les prochains mois, je continuerai à photographier ces migrants lors de leur voyage depuis la frontière sud du Guatemala jusqu’au « Centre de la Terre », à travers le mur.

A la stricte documentation du passage de frontière aux côtés des migrants, je mêlerai les fabuleux paysages du Mexique et les créatures mythologiques qui peuplent ce chemin vers le Nord comme La Bestia (le train), Las Patronas à Veracruz, les gangs et les sicarios.

Je poursuivrai également ma collaboration avec les ONGs et les agences nationales qui opèrent à la frontière de l’Arizona ainsi qu’avec la nation Tohono O’odham dont le territoire se trouve au milieu de cet afflux de migrants. Mon travail s’effectuera des deux côtés de la frontière pour tenter d’atteindre l’équilibre parfait entre la brutalité des faits et la magie de la nature de ces paysages.

A la fin de cette route, il y a Felicity, une petite ville de Californie à qui revient l’honneur d’être le « Centre du Monde » officiel selon les lois étatiques. L’absurdité de ce monument de fortune, depuis lequel on peut apercevoir la barrière transfrontalière, ajoute une nouvelle couche d’irréalité à ce voyage et en fait le parfait colophon.

Depuis 2012, date à laquelle j’ai publié The Afronauts, à chacun de mes nouveaux projets, j’ai éprouvé l’efficacité des narrations expérimentales qui flirtent avec la fiction pour mieux faire passer un message. Etant en recherche constante de sujets contemporains victimes de stigmatisation, l’immigration s’est imposée à moi.

Aux photographies documentaires je mêle des photos mises en scène et fictionnalisées ainsi que des imageries d’archive que j’amasse tout au long du voyage. Je compose ainsi une narration à plusieurs niveaux qui finit par soulever plus de questions qu’elle n’apporte de réponses.
Alors que, dans les médias, la représentation du monde est aujourd’hui polarisée par le fanatisme, la capacité à poser les bonnes questions paraît plus précieuse que le privilège de donner la bonne réponse.