Laurence Leblanc

Née, vit et travaille à Paris
www.laurenceleblanc.fr

Rendons le possible

« Il faudrait envisager le donner – et – recevoir comme un échange naturel quelque chose qui se produit tout simplement »  Jean de La Bruyère

Cette phrase de La Bruyère est d’une grande simplicité. Elle parle d’un autre, d’un face à face, elle évoque la base des relations humaines : l’échange.
Depuis mes premières recherches, la relation à l’autre est au centre de ma pratique photographique. Elle se trouve aussi bien dans ma confrontation au réel que dans sa représentation. « Faire face »  a signifié prendre le temps, m’arrêter, ne pas avoir peur de mes doutes, essayer de dépasser la surface des choses et dire ma sensation du monde avec mes propres mots en remettant en cause les stéréotypes.
Que ce soit dans mon premier travail sur l’enfance ou que ce soit auprès des nonnes au Cambodge, j’ai toujours questionné l’Autre en essayant d’interroger les permanentes douleurs de ce monde. De même dans le livre « Seul l’air », j’ai interrogé ce que l’on nomme l’Afrique essayant de  montrer chaque endroit traversé de manière singulière. L’acte photographique se construit toujours par imprégnation progressive du sujet et de son environnement avec une sorte de retenue. De plus j’attache une attention toute particulière à l’épreuve qui en résulte car elle est l’aboutissement de cette réflexion permanente que j’ai avec moi-même. Une nécessité de ressentir de réfléchir et de dire.

En 2006  mon projet « Objets perdus » évoquait la vitesse  et l’existence d’objets, d’outils de production, qui avaient eu une histoire bien réelle et qui disparaissaient « du jour au lendemain  sans laisser d’adresse » nous laissant parfois désemparés. Ces objets interrogeaient la mémoire, les traces, la disparition d’un certain échange entre les générations.

L’échange est au cœur de ce nouveau travail. Quelle est la nature de nos échanges ?
Dans notre milieu professionnel, dans notre cercle familial, dans nos relations affectives, dans la petite histoire comme dans la grande histoire de ce nouveau siècle.
Comment prenons-nous position devant la circulation des biens, le flux incessant des informations, l’écoulement du temps, la frénésie  du « je donne et je reprends » .
Les quinze photographies que je vous présente évoquent de manière sourde cette série de questionnements qui m’habitent et m’obsèdent au quotidien.

Qu’est-ce qu’une main tendue ? Ai – je le devoir d’y répondre ? Puis-je encore donner sans attendre quelque chose en retour ? Est-ce que le désir engendre forcément l’envie de posséder ? Faut – il se protéger des autres ? Pourrons-nous prendre la parole à l’avenir sans appartenir à un quelconque réseau ?
Est-ce que « l’échange naturel » dont parlait La Bruyère n’a pas totalement ou presque disparu ? Parviendra – t’on à préserver notre identité ?

Mes photographies ne donnent pas de réponse, elles suggèrent un dialogue. Un dialogue qui ne vient pas forcément naturellement. Une personne prend la parole une autre répond, c’est comme une impulsion première qui nécessite parfois une argumentation.
Mes photographies ne donnent  pas de réponse, elles rappellent une certaine attention à l’autre. Une écoute une patience. En se mélangeant, en se touchant, en se serrant, on est dans l’essentiel de l’être, du sensible. Ainsi on atteint l’ineffable.

Et je pense aux mots d’Emmanuel Lévinas : «  La relation avec l’autre est une relation avec un mystère… C’est son extériorité ou plutôt son altérité qui constitue tout son être ».