Rebecca Topakian

Vit et travaille en France
www.rebeccatopakian.com

Dame Gulizar and Other Love Stories

De manière générale, je cherche dans mon travail à définir la notion d’identité dans ses dimensions invisibles, dans les nœuds de relation, les mythologies. J’explore la question de l’identité à travers différents axes : les relations interpersonnelles, le rapport de l’identité personnelle à l’identité de groupe, et le rapport à l’histoire familiale, nationale et à ces mythologies. L’identité n’est pas abstraite : c’est une réalité incarnée qui s’exprime dans une attention particulière au corps, à ses gestes, à la sensualité et au désir.

Mon grand-père Haig est venu en France après le génocide des Arméniens par les Turcs et n’a jamais raconté l’histoire de sa famille, ni rien sur sa vie avant la France. Le seul récit qui m’a été transmis, c’est l’histoire d’amour de mes arrière-grand-parents, Gulizar et Garabed. L’histoire se passe à Kayseri, en Anatolie, à la fin du XIXe siècle. Gulizar aurait été une princesse arménienne, tandis que Garabed n’était qu’un bourgeois, un producteur de basturma (viande séchée dans une croute d’épices) à Kayseri. Afin d’épouser sa bienaimée, il serait venu à cheval la kidnapper, et l’emmener à Constantinople.

J’ai exploré cette part de mon identité en prenant le parti d’une construction fictionnelle, mythologique, afin de remplacer l’histoire absente. L’histoire d’amour de mes arrière-grand-parents en tête, le désir est le fil conducteur de ce travail : désir de terre, d’identité, mais aussi du corps de l’autre, comme un miroir. J’ai photographié les paysages, les montagnes ou les pierres comme les détails d’un décor d’une histoire poétique, à la limite du conte de fée. En parallèle, j’ai casté autour de moi et sur l’application Tinder des jeunes hommes arméniens au physique typique que j’ai mis en scène dans des postures intimes, créant autant d’histoires d’amour fictionnelles, points de départ de romances oniriques. Le mélange des genres, en images, permet de faire des aller-retour entre l’imaginaire et la réalité, et de créer des ponts entre différentes temporalités.

Ces photographies sont mêlées, dans l’accrochage, à des archives familiales ainsi qu’à des tirages sur pierres.
J’ai récupéré des photos de famille, échangées par mon grand-père et ses frères et soeurs, alors éclatés dans le monde entier, et les ai tirées selon un procédé d’émulsion photosensible sur la surface de pierres typiquement arméniennes (obsidienne, tuf, et verre volcanique). Par ce geste, je replace symboliquement les membres de la famille dans leur terre.
Une suite à ce projet est prévue, intitulée « Il faut que les cendres de Constantinople s’envolent jusqu’en Europe ».

Entre enquête et fiction, le travail suivra un voyage en Turquie, d’Istanbul à Kayseri. Supposé être produit lors d’une résidence d’artistes à Istanbul au printemps 2020, celle-ci a été annulée en raison de la crise sanitaire.